
Mohsen Hassan, expert économique et ex-ministre du Commerce
« Sans un consensus national sur le programme de réformes, il serait difficile pour la Tunisie de conclure un accord avec le Fonds monétaire international. J’estime que cela est d’autant plus difficile que le gouvernement tunisien n’a pas trouvé un consensus avec la centrale syndicale pour amorcer un dialogue national sur les réformes économiques. La conclusion d’un accord avec le FMI pourra aider les caisses de l’Etat à travers l’obtention de financements auprès des institutions internationales qui ne soutiendront plus la Tunisie si elle ne parvient pas à trouver un terrain d’entente avec le FMI. Notre pays sera exposé, à ce moment-là, à de véritables risques dont le défaut de paiement de ses dettes extérieures à partir de 2023, à la lumière de la hausse du service de la dette publique, l’envolée de la valeur du dollar, le creusement du déficit commercial et la flambée des importations en devises. Ce qui ne fera qu’alourdir les pressions sur la balance des paiements.
Il y a des raisons externes et internes qui ont favorisé la hausse des prix des produits de base et leur pénurie, à l’instar des céréales, de l’huile végétale subventionnée et du sucre. Pour les raisons internes, je pense qu’elles résident dans la détérioration de la situation des finances publiques et la crise de liquidité que connaît le pays. Cela a aggravé la situation des entreprises publiques, surtout celles chargées des achats comme l’Office de l’huile et l’Office du commerce, qui subissent, actuellement, de grandes pressions financières vu le non-paiement de leurs arriérés. A titre d’exemple, la valeur des dettes de l’Office des céréales a dépassé les 1.900 milliards de dinars, vu que l’Etat n’a pas encore honoré ses engagements financiers à son égard. Une situation qui a bloqué certaines entreprises publiques et les a empêchées d’importer les quantités nécessaires pour couvrir les besoins du pays. Il est, donc, important d’entreprendre un véritable partenariat entre les secteurs privé et public afin de pouvoir développer le volet logistique.
J’appelle le ministère du Commerce à étudier les prix qui deviennent de plus en plus inexplicables. Il convient, par ailleurs, de fixer les prix des produits de base après une étude des coûts de production qui doit être entreprise avec les professionnels de chaque secteur. Aussi, il faut penser sérieusement à lutter contre la spéculation et le monopole à travers la révision des textes juridiques et des sanctions adéquates».
Nabil Abdellatif, président d’honneur de l’Ordre des experts-comptables
« La crise des carburants et des céréales et l’importation de ces produits sont derrière la détérioration du déficit budgétaire au cours du premier semestre de l’année 2022. Ce qui explique le déficit avec l’Algérie et la Russie, tandis que le déficit de la balance commerciale de la Tunisie avec la Turquie et la Chine, il aurait pu être comblé à travers la révision des accords de libre-échange avec ces pays. L’Etat n’a pas procédé à la réduction de l’importation de certains produits de luxe de Chine et de Turquie, car certains lobbies et groupes d’influence ont la mainmise sur le paysage économique. Le déficit commercial de la Tunisie poursuivra sa montée, au cours du deuxième semestre de l’année courante, avec une diminution légère qui sera enregistrée au niveau de la balance commerciale énergétique et céréalière. Il est nécessaire de mettre au point une stratégie nationale pour la maîtrise des échanges commerciaux de la Tunisie avec le reste du monde, surtout que plusieurs produits importés sont de qualité médiocre et représentent un danger pour la santé et l’environnement. Le déséquilibre du système de compensation est très prononcé en Tunisie, puisque les bénéfices des entreprises exportatrices proviennent de la subvention des produits de première nécessité. Ces entreprises comptent sur la maîtrise des coûts de production en profitant des subventions de l’Etat.
Il est grand temps de se pencher sur le dossier des énergies renouvelables qui est entaché par la corruption. Je regrette que les ressources naturelles de la Tunisie ne soient pas encore valorisées et que nous n’avons pas trouvé des alternatives pour remédier à la crise des hydrocarbures ».